Si je suis catalan du Roussillon, je suis aussi, en partie, espagnol et par-dessus français. Sans cesse sur la ligne de crête et c'est tant mieux. Une manière de se sentir dans le possible de la vie et de toucher du doigt par l'écrit, l'impossibilité d'être pleinement dans un monde où l'esprit est mis en sourdine d'un commun accord et à certains endroits du monde bafoué, piétiné, saccagé, emmuré. Je ne revendique plus de racines hors celles des arbres. Je revendique la pulsation de la nature.
Mais la vie est faite de rencontres salvatrices. L'une d'entre elle concerne Jean-Michel Platier. Tout nous oppose ou plus suavement dit, nous différencie. Tempérament, taille ( il est géant et je suis nain), le regard porté aux autres et au monde. C'est par faiblesse de nous-mêmes que nous avons construit notre relation amicale et respectueuse ce qui n'exclut pas entre nous des moments homériques. Par faiblesse et par besoin de respirer. La poésie, sans doute, y a joué un rôle fort. Elle aura cimenté le socle de nos désirs.
Dans cette affaire de maison d'édition je n'aurais joué qu'un second rôle, celui d'accompagnant, de fidèle OS d'une aventure éditoriale qui doit tout à Jean-Michel Platier. Au mieux j'aurais été l'un des pilotis sur lesquels construire la maison aux berges multiples, au pis un observateur enthousiaste ou navré selon le temps qu'il faisait. Car nous eûmes du gros temps et des tempêtes assez noires, des coups de tonnerre. Mais l'éclaircie n'est jamais loin.
Nous en sommes là avec BEN - Bérénice éditions Nouvelles – Beau temps jusqu'à nouvel ordre. Mais il en ira de BEN Comme des affaires du monde. A défaut de s'en remettre à Dieu, essayons de croire en BEN.
De questions, je n'en ai plus hormis celles qui affleurent dans les textes que je peux encore écrire. Elles feront livre ou pas (Sur les pas d'Edmond Jabès, je voudrais bien). Si je revendique une chose c'est celle de sacraliser mon semblable. Non pas Dieu, mon semblable quand bien même il serait horrifiquement infréquentable. Il n'y a rien de religieux là-dedans, au plus une sagesse de la vie qui m'aura manqué de trop nombreuses années et qui se sera pointée tardivement. Mais je fais avec et j'avoue ce penchant pour le genre humain en général et les hommes en particulier.
Nous devons ce beau nom de Bérénice à Andrée CHEDID pour son texte Bérénice d'Égypte tout comme le bel adage que nous lui avons emprunté ( Ensemble, tout sera possible. Ensemble, nous mettrons ce peuple debout), avec son accord je crois. C'était hier.
Je ne choisis pas les textes. Jean-Michel Platier est à la manœuvre. Il aime ça. S'enthousiasme. Je lui laisse ce fardeau. Peut-être pourrait-on dire aussi que les textes nous choisissent. Mais soyons clairs et honnêtes, une rencontre avec l'auteur y aide beaucoup. Des empathies, des reconnaissances, des amitiés, des clins d'oeil y lèvent souvent et du coup nous relèvent.
Bien sur la poésie tient une place de choix si l'on tient compte du nombre de nos publications. Mais nous sommes des iconoclastes nés et tout y passe, sans autre distinction que ce qu'un lecteur peut deviner dans les lignes qui précèdent et qui suivront.
La beauté de la langue, parlons-en ! Qu'est-ce au juste ? La musicalité, la sonorité, le tranchant, le moelleux, le rythme, le tintamarre, l'écho, le dit, le non-dit, le silence, la paroi des mots, l'Everest de l'histoire, le vocabulaire, le propos et la proposition du lire, l'écrit à l'encre sympathique, la révélation, l'espoir d'un titre, l'importance de la pagination, la typographie, le mat, le brillant, la quatrième de couv', le désir de bien dire, le travail et le retravail sur la phrase, les mots composés, la trouvaille, la syntaxe, les verbes, les adjectifs, les liaisons, les interjections, les droits d'auteurs
(minimes chez nous, vu nos tirages), enfin quoi... ou la beauté tout court, ce sentiment de lire un texte qui nous emporte ailleurs, qui nous prend et ne nous lâche pas de la première à la dernière page, avec toujours en germe la reconnaissance que l'on vouera à l'auteur de nous avoir surpris, désarçonné, bluffé, lapidé et trahi sur nos certitudes pour ouvrir notre horizon.
Je suis un inconsolable de la langue, le ténébreux, le veuf, l'inconsolé du poème de Nerval.
Le seul engagement que je reconnaisse est celui de l'écriture. C'est celui que je m'efforce de sentir en tant que lecteur. Je lis pas mal, du moins j'essaie de me tenir à un rythme de lecture, par plaisir et par engagement envers les auteurs, et j'essaye de bien lire, c'est à dire de ne pas avoir de préjugé ou de rejet implicite avant que d'avoir lu. Je n'interviens que dans le choix que je fais des livres que je me donne à lire. A la médiathèque je tends la main au hasard jusqu'à tomber sur titres et auteurs qui m'invitent à les lire, ailleurs la rencontre avec les auteurs m'est nécessaire. Je peux avoir un sentiment de manque, de parcellaire car plus on lit et plus on est sur un manque. C'est du moins mon ressenti. Je pourrais dire qu'un livre chasse l'autre. C'est en partie vrai. Pourtant un beau et vrai livre laisse sa trace intime et il suffit qu'en ressurgisse le titre lors d'un échange pour que le livre remonte à l'esprit s'affirmant encore bien des années après l'avoir lu. C'est donc qu'il y a une magie opérante et c'est sans doute ce qui me rassure avec un livre. Le fait de baigner dans un bain de jouvence, dans la magie des mots au gré de l'aventure du lire.
Je sais à présent ( très modestement dit) lorsque je lis si j'ai affaire à un vrai livre c'est à dire un livre qui ne répond pas mais qui m'interroge au plus profond, en quelque forme que ce soit, plaisamment ou tragiquement, car la vie est à la fois farce et tragédie. Mais je suis un lecteur ouvert, un bienveillant, à défaut d'être un bon lecteur. Cela je ne peux le savoir. Un livre trouvera toujours grâce à mes yeux. Et pour garder cette force directrice que je m'impose dans mes lectures, c'est à dire la curiosité du lire, j'accompagne mes lectures d'autres lectures qui sont celles de mes auteurs
préférés avec lesquels et près desquels j'ai construit ma maison de lecture. Je ne les trahirai pas. La plupart ne sont plus mais ils sont nombreux ceux qui m'ont tendu les clés et plus nombreux encore ceux vers qui je vais, les découvrant et en faisant aussitôt des accompagnants de premier ordre.
Être éditeur c'est s'exposer au coup de cœur. Et de ce côté là Jean-Michel Platier à une fragilité inhérente à son cœur de lecteur. S'il s'emballe régulièrement, l'expérience aura démontré que c'est fort à propos. Et la première série de BEN, la dernière pour ce qui concerne BERENICE, semble confirmer la thèse que Jean-Michel Platier est, de ce point de vue là, un bon éditeur. Il analyse fort bien le monde et, lecteur acharné, il possède une vision.